[Utopiales19] Autour d’Edgar P. Jacobs

La table ronde des Utopiales consacrée à Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer, réunissait François Schuiten, le dessinateur de l’album Blake et Mortimer – Le Dernier Pharaon, et Éric Dubois qui a participé à l’élaboration de l’exposition Scientifiction au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) de Paris. Ils ont pu revenir sur sa carrière, et sa relation avec la science. J’espère faire un résumé juste de ce qui a été dit.

Jacobs était un acharné de travail. Ses BD sont de la science-fiction, mais basée sur la réalité, et non pas totalement sorti de son imagination. L’auteur lisait beaucoup de revues et contactait des spécialistes pour écrire ses histoires. Il fallait qu’elles soient le plus authentique possible. Une anecdote sympa a été racontée à propos de l’album Les Trois Formules du professeur Satō. Jacobs avait pris du retard car il était en attente d’une photo des poubelles de Tokyo, pour pouvoir les dessiner très précisément. Et finalement, elles s’avéreront être les mêmes que celle de Bruxelles, où il est né. N’étant pas scientifique, il se devait d’être le plus méticuleux possible, car il avait besoin de s’appuyer sur le réel. Sans famille, il lui arrivait de dormir à côté de son plan de travail, dans un lit aménagé.

Il impossible de ne pas mentionner Hergé lorsque l’on parle de Jacobs, même si la conférence a refusé de s’attarder sur leurs conflits. Les deux hommes étaient à la fois proches et opposés. Jacobs commence sa carrière dans l’opéra. Il est notamment marqué par l’impressionnisme. Il travaille ensuite pour la mode, et c’est son premier contact professionnel avec le dessin. D’ailleurs, l’influence de ce métier se voit dans son œuvre, puisque les vêtements y sont toujours impeccablement dessinés. Toutes ces expériences vont lui donner une maturité pour la BD. En effet, il faut savoir qu’il ne commence à faire Blake et Mortimer qu’à 40 ans. Publié par Le Journal de Tintin, il fut censuré et dut modifier son style pour être plus épuré, et coller à celui d’Hergé. Son dessin devait être plus didactique, et il avait un rythme à tenir, mais il mit tout son cœur à l’ouvrage.

L’œuvre de Jacobs, à l’instar de Jules Verne, peut être qualifiée de prescience et de visionnaire. Ses recherches vont lui permettre de capter son temps jusqu’à le devancer. L’époque est assez particulière puisque la Deuxième Guerre Mondiale vient de se terminer, et il se retrouve dans une période idéalisée, pleine d’espoir. Le XXème siècle que l’auteur a bien parcouru est plein de contradiction. La BD émerge et évolue en même temps que l’industrialisation, la mécanisation et les méthodes de travail. D’ailleurs, Dubois parle beaucoup de son exposition au CNAM, et l’explique par ce parallèle et le fait que Jacobs interrogeait souvent la technique. Sa relation avec la science, dont les progrès accompagnent le siècle aussi le plus barbare, était assez ambiguë. Ces deux facettes sont d’ailleurs identifiées par le savant fou dans l’expressionnisme.

Dubois donne un exemple assez amusant de la relation étroite entre la science et le travail de Jacobs. En préparant l’exposition, ils sont tombés sur un objet étonnant dans les collections du CNAM : un turbogénérateur ressemblant à un gros missile bleu et blanc. Son nom ? L’espadon. Il a été créé en 1946, soit la même année que la première publication de l’aventure de Blake et Mortimer, Le Secret de l’Espadon. Ce turbogénérateur a été intégré pour la première fois dans un avion en 1948, et on peut supposer qu’il a été nommé d’après la BD de Jacobs.

Dans les BD de Blake et Mortimer, Jacobs n’hésite pas à aller très loin dans ses idées. Dans Le Secret de l’Espadon, il parle d’une Troisième Guerre Mondiale dans une utopie, sans Etats-Unis, illustrant la mortalité des civilisations. En outre, selon les invités, Le Piège diabolique est l’album le plus pessimiste. L’histoire de voyage dans le temps est audacieuse et sombre, avec des notions très adultes. Quelques soient les actions de Mortimer dans le passé, le présent ne change pas, ce qui implique une destinée.

Malgré tout, la tablée ne considère pas que Jacobs faisait vraiment de la science-fiction. Ses récits leur semblent plus fantastiques, plus merveilleux. A la sortie du magazine Métal Hurlant, le premier numéro lui avait été envoyé. Bien qu’il se rende compte de la nouvelle génération, il ne se sentait pas vraiment concerné et considérait que ce n’était pas son truc. Personnellement, je pense que l’œuvre de Jacobs est résolument SF, tout comme l’oeuvre de Jules Verne en était, et que la différence entre l’ancienne vision et la nouvelle qui se développe avec Métal Hurlant est juste une histoire de branches à l’intérieur du genre.

Cette table ronde m’a permis de mieux connaitre Jacobs que je connaissais finalement peu, malgré ma lecture des Blake et Mortimer, et quelques notions sur sa vie. Bien sûr, je pense qu’il reste énormément de choses à dire, et l’exposition qui lui est consacrée semble pour le coup intéressante. Dommage qu’elle ne soit plus accessible, bien que le catalogue est trouvable chez Dargaud pour les plus passionnés. Le podcast tiré de la conférence, qui vous permettra de compléter ce que j’ai écrit, est disponible ici : https://www.actusf.com/detail-d-un-article/utopiales-2019-autour-dedgar-p-jacobs