Critique de l’anthologie Nous sommes les X-Men chez Panini

Même si aujourd’hui les nouvelles anthologies sont un peu moins fréquentes, les éditeurs avaient vu dans ce format un bon moyen d’attirer les lecteurs néophytes en comics qui voulaient avoir rapidement une base sur un personnage ou un groupe de personnages. Le premier à dégainer a probablement été Urban Comics. En effet, DC ayant toujours eu du mal à s’implanter en France, l’éditeur a choisi l’axe de la pédagogie en proposant ces anthologies, un moyen rapide de se familiariser avec un univers. En 2014, Panini suit la tendance avec les « Je suis » et « Nous sommes« . Je vais m’attarder sur celle consacrée aux X-Men.

Concernant le format de l’album, la taille est proche de celle des Marvel Deluxe, et l’aspect ressemble aux Marvel Icons, donc aux albums Urban Comics, autant le dire. Petite touche supplémentaire, la couverture est semi-brillante, ce qui rend l’album très joli. Pour ce qui est du contenu, les attentes pour une anthologie sur les X-Men sont leurs meilleures histoires, mais aussi les plus emblématiques, celles qui expliquent le succès de ces personnages. La question de l’angle de la critique se pose alors : faut-il s’intéresser à chacune des histoires, ou faut-il voir la globalité ? Comme je ne considère pas la mission de Panini réussie à 100%, je vais diviser cette critique en deux parties : d’abord, ce qui me paraît être nécessaire dans une anthologie, puis les erreurs ou les manques qu’il peut y avoir.

L’album commence par de longs textes nous présentant ces héros que sont les X-Men. Ils sont peut-être un peu trop denses pour un novice, mais pour l’initié, ils permettent de réviser ses classiques, et d’y déceler malheureusement quelques approximations. La suite contient bien entendu de la BD, beaucoup de BD, bien plus que d’articles, ce qui est une bonne chose, puisqu’il vaut mieux montrer les X-Men en action que d’essayer de les expliquer. Panini débute par le passage obligé : Uncanny X-Men #1 par Stan Lee et Jack Kirby, la première apparition des X-Men. La traduction n’est cependant pas à la hauteur, et gêne vraiment la lecture. Par exemple, « Tu n’as pas » devient « T’as pas« , et ça quasiment à toutes les phrases. Sortant de la bouche des X-Men, je peux le comprendre, car ce ne sont que des gamins, mais pas lorsque le professeur Xavier s’exprime de cette manière. C’est d’autant plus dommage que le récit en lui-même n’a pas tant vieilli que ça.

L’autre choix d’histoire tout à fait logique et indispensable est le Giant Size X-Men #1. Dans ce numéro, une nouvelle équipe des X-Men est formée pour retrouver les anciens X-Men. En 1975, ce numéro relançait la franchise, et de nouveaux personnages étaient introduits comme Diablo, Tornade, Colossus et bien sur Wolverine (pour la première fois chez les X-Men). Si la traduction est cette fois bien meilleure, les coupures de phrases dans les bulles ne sont pas toujours très pertinentes. Autre regret, l’histoire est racontée dans les articles de présentation, enlevant un peu l’effet de découverte, surtout qu’elle est plutôt maline et assez intrigante. Bref il s’agit d’un numéro fondamental des X-Men, qui, tout comme Uncanny X-Men #1, est inattaquable et historique.

Après les récits qui ont défini les X-Men avec des personnages charismatiques, le reste de l’album contient des histoires cultes, notamment la Saga du Phoenix. D’un côté, il est dommage que Panini ait choisi de publier uniquement le numéro final de la saga, puisqu’il manque de nombreux éléments menant jusqu’à cette apogée, de l’autre, le numéro se suffit à lui-même. Il n’y a aucune difficulté à comprendre ce qui s’est passé avant notamment grâce au Gardien qui fait le point. L’histoire fait partie de la période du scénariste le plus prolifique des X-Men, Chris Claremont, et reste emblématique, culte et très forte en émotions.

Elle est suivie par un récit paru peu de temps après : Days of Future Past. Panini semble avoir choisi l’option de facilité, l’album étant sorti juste avant le film, mais ce serait oublier les qualités de cette histoire, puisqu’elle n’était que les prémices des voyages temporels et inter-dimensionnels qu’allaient vivre les mutants par la suite. Composé de deux épisodes, le récit est passionnant à lire, et de nombreux éléments ont été repris dans différents films de la saga cinématographique.

L’album contient aussi les trois premiers numéros du run de Grant Morrison, et du coup, ce segment est celui qui a le plus de pages. Même si le travail de Morrison est majeur sur les mutants, ce choix peut interroger. Le meilleur des X-Men est probablement ce qu’a raconté Claremont pendant des années, et après un coup de mou, Morrison a véritablement dépoussiéré l’univers pour le remettre à son plus haut niveau. Dans les récits modernes, cette période est de loin la plus passionnante, et du coup, le choix de Panini de le mettre en avant est pertinent. Surtout que depuis, les histoires des X-Men les plus intéressantes sont des sagas qui impliquent plusieurs séries, difficilement publiables dans une anthologie. Ce format reste d’ailleurs un exercice périlleux, avec des choix à faire qui ne plairont pas à tout le monde.

En outre, Panini a fait quelques choix bizarres. Par exemple, le X-Men #85 de 1999 est un récit plutôt indépendant et sympa qui permet de montrer les différences entre les X-Men et Magnéto. Le numéro semble s’adresser à ceux qui ne connaitraient absolument pas le personnage de Magnéto. Mais aussi agréable et intéressante soit-elle, cette histoire a-t-elle sa place dans une anthologie ? Un fan des mutants ignore probablement son existence. Et c’est le cas aussi pour Classic X-Men #39, dont on imagine qu’il est là à cause de Jim Lee au dessin. Il y avait cependant probablement d’autres histoires avec ce dessinateur plus intéressantes, même si ce numéro reste très agréable à lire. Le reproche que j’adresse à Panini, ce n’est pas vraiment le choix de ces histoires, mais plus le manque de justification et d’explication. En effet, il aurait été pertinent de proposer un article avant chaque récit nous expliquant pourquoi ce choix, et en le contextualisant à la fois au niveau de l’édition et au niveau de l’Histoire des mutants.

Pour illustrer ce point, le dernier récit de l’album se focalise sur Mojo, et même si il est plutôt marrant, il peut être déroutant. Il montre un aspect des X-Men pas forcément connu, ce qui est plutôt bien, mais l’histoire n’a pas vraiment d’impact sur la destinée des mutants. La palme du pire choix revient au dernier chapitre que je n’ai pas cité : Uncanny X-Men #57. Ce numéro est court (15 pages) et à suivre. En gros, on arrive après la bataille, et il se termine avant de devenir  intéressant. Peut-être que dans son contexte le numéro est très bien, mais là, un petit texte explicatif aurait été le bienvenu.

Finalement, la question à se poser est : à qui s’adresse cet album ? Le néophyte sera, je pense, un peu perdu tant les histoires partent dans tous les sens et les articles qui parlent de l’univers des X-Men sont denses et résumés. L’expert a déjà tout lu et connait bien tout ce qui est dit, mais il peut éventuellement lui permettre une révision. En fait, le bouquin s’adresse plutôt à une personne qui connait les X-Men, ayant lu quelques aventures ou peut-être vu les films, et qui veut en savoir plus. Il aura accès à un panorama d’histoires qui dans l’ensemble sont vraiment bonnes. Certes, il manque quelques textes explicatifs, et aussi des trucs bêtes comme des numéros de page (pourquoi faire un sommaire dans ce cas ?) ou des couvertures originales. Certains autres récits auraient aussi pu y avoir leur place comme les Astonishing X-Men de Whedon ou les Ultimate X-Men de Millar par exemple. Mais il a fallu faire des choix, et ils sont globalement réussis. Même les articles font leur job finalement. En tout cas, l’album donne envie de pousser la lecture plus loin, afin d’encore mieux connaître les X-Men.

Pour finir, il faut savoir que cette critique se base sur l’album sorti en 2014 et introuvable aujourd’hui. Panini est fidèle à lui-même en proposant des tirages uniques de ses publications, et même s’il essaie difficilement de se mettre aux rééditions, ce livre n’est pas concerné, puisque l’éditeur l’a en fait déjà ressorti en 2016, dans la même collection, mais avec une couverture différente. Cette version est d’ailleurs encore disponible en cherchant bien. Il est en revanche très intéressant de constater que le contenu a légèrement changé. Le Classic X-Men #39 a été remplacé par le X-Men #1 de 1991. Pour traduire, Panini a remplacé un comics quelconque dessiné par Jim Lee, par le numéro le plus vendu du même dessinateur. Très bon choix, et même si ce n’est pas la meilleure histoire de Claremont, c’est bien plus culte que l’autre !

Nous sommes les X-Men fait des choix dans les histoires des mutants, et le fait globalement bien, malgré quelques récits plutôt inattendus, et qui auraient mérité plus d’explications. Le travail éditorial n’est en effet pas trop poussé, même si généralement suffisant. Bref, si vous connaissez un peu les X-Men et que vous n’avez lu aucun des récits contenus dans l’album, c’est une bonne solution pour en apprendre un peu plus.