Critique du comics The Massive

The Massive est une série de comics sortie chez Panini en 2013/2014 en France, et chez Dark Horse en 2012/2014 aux Etats-Unis. L’attrait de celle-ci provient de son scénariste, Brian Wood, qui offre une ambiance proche de sa création phare, DMZ. J’avais écrit les critiques des tomes 1 et 3 lors de leurs publications, et avant le scandale concernant l’auteur. Malheureusement, Panini ne terminera jamais la série puisque seul trois tomes ont été publiés sur cinq, et ceux-ci ne sont même plus trouvables dans le commerce. Dommage…

Critique du tome 1

En juin 2013, Panini propose une traduction des six premiers numéros regroupés dans un album cartonné. Pour ceux qui ne connaissent pas Wood, il est surtout connu pour avoir réalisé DMZ et Northlanders chez Vertigo. C’est un auteur assez prolifique à l’époque, qui, en plus de son travail sur Conan le Barbare, X-Men et Star Wars, se permet de créer cette nouvelle série. L’intrigue de The Massive se déroule dans un monde ravagé par des catastrophes naturelles, et nous suivons l’équipage du Kapital, un navire du groupe d’intervention écologiste la Neuvième Vague, à la recherche du Massive, leur second navire bien plus grand qui a été perdu lors d’une tempête. Voilà le pitch de base de la série, voyons maintenant ce que nous réserve ce premier tome.

Ce tome est composé de deux histoires de trois chapitres. Je vais donc parler dans un premier temps de la première moitié, celle dessinée par Kristian Donaldson, c’est-à-dire Terre en vue. Le récit commence sur le Kapital, alors que les membres de l’équipage semblent avoir retrouvé la trace du Massive. Nous sommes donc directement plongés dans l’aventure. Mais celle-ci sera régulièrement coupée de flashbacks permettant d’en apprendre plus sur l’état du monde et l’histoire de la Neuvième Vague. Pour résumer, il y a eu une série de désastres environnementaux, sociaux et économiques que l’on a nommé le Krach et s’étendant sur une année. Avant ça, Callum Israel, le capitaine du Kapital, était un militaire privé travaillant pour Blackbell. En 1997, lassé de ce job, il disparaît pour revenir en 2001 et fonder la Neuvième Vague. Ce groupe d’intervention pacifiste est donc créé par un ancien militaire entouré d’un autre ancien de Blackbell, Mag, et de Mary, une femme dont on sait très peu de chose. Toutes ces informations sur le Krach et sur la Neuvième Vague sont présentées dans des flashbacks. Pour tout dire, l’histoire principale se déroulant dans le présent, même si elle comporte de bons moments, n’est pas très palpitante. Le vrai intérêt se trouve dans ces retours en arrière nous introduisant l’état du monde actuel et les protagonistes de l’histoire.

Le récit se centre sur ces trois personnages principaux : Israel, Mag et Mary. Nous suivons leur histoire et quasiment uniquement leur histoire. Si cette première partie reste assez générale, la deuxième partie, Pacifique Noir dessiné par Garry Brown, s’attarde plus sur les personnages. Le postulat est simple : le Kapital a besoin de ravitaillement. Israel s’occupe de l’essence en magouillant, Mary s’occupe de l’eau grâce à un secret qu’elle connait et Mag utilise la force pour récupérer de la nourriture. Je pense que la manière dont agissent les personnages montrent bien leurs personnalités ainsi que leurs particularités que l’on va suivre durant l’aventure. En plus de ses compétences individuelles, c’est les convictions du groupe qui vont être intéressantes à suivre. En effet, à la suite du Krach, le monde est devenu encore plus dangereux, et pourtant la Neuvième Vague veut rester une force d’intervention pacifiste. Sachant qu’elle est en partie composée par des militaires, on se demande jusqu’où ils seront prêts à aller.

Ce qui est exemplaire dans The Massive, c’est le ton donné par Brian Wood. A aucun moment il n’y a prise de parti. Le récit est le plus neutre possible, le plus réaliste possible. Lors des flashbacks, notamment sur le Krach, une voix off raconte ce qui s’est passé. C’est un texte froid qui énonce les faits, rien de plus. Ce n’est pas la voix de Wood, mais plus un rapport le plus objectif possible. On ne rentre jamais dans la tête des personnages. On ne sait pas ce qu’ils ressentent, on voit juste ce qu’ils font, sans jugement. C’est à la fois la grande force du récit, et une faiblesse, car on s’attache difficilement aux personnages. En revanche, Brian Wood a décidé d’avoir des protagonistes non-américains, et la seule américaine est considérée comme prétentieuse. Même si l’auteur est né dans le Vermont, c’est assez rafraîchissant de voir le recul qu’il peut avoir sur la vision du monde de son pays.

Attardons-nous un peu sur le côté écologiste de l’ouvrage, puisqu’il est assez exemplaire. La plupart des récits se basant sur ce type d’histoire font souvent des erreurs, montrant une nature bisounours contre les méchants humains. Le seul défaut que je peux trouver ici, et qu’on retrouve souvent, c’est que les modifications environnementales se passent très vite. Mais c’est ce postulat qui sert de base à l’histoire : qu’est-ce qui se passerait si toutes les catastrophes avaient lieu la même année ? La plupart des celles-ci ne sont pas inventées par Brian Wood, mais s’inspirent de faits réels : l’explosion d’un volcan islandais, chutes d’oiseaux qui tombent morts sans raison apparentes, grosses coupures de courant, grosses tempêtes sont des évènements qui ont déjà eu lieux. La montée des eaux, des courants d’air et d’eau modifiés sont aussi prévus. Bref, Wood intègre tout ce contexte environnemental au récit de manière très intelligente, c’est-à-dire qu’à aucun moment, il se place dans la peau d’un donneur de leçon. Pourtant, la meilleure idée du bouquin est qu’à aucun moment l’année du Krach n’est donnée. On devine que ce n’est pas loin d’aujourd’hui, mais nous n’avons aucune précision, comme si Brian Wood voulait nous avertir de manière très subtile : attention ça peut arriver à n’importe quel moment si on ne fait pas d’effort.

Je n’ai pas encore parlé de la qualité des dessins, tout simplement parce qu’il n’y a rien à redire. Le trait de Kristian Donaldson est très fin, assez épuré, mais très efficaces et précis. Celui de Garry Brown est plus grossier, mais très contrôlé et très juste. En bref, les deux artistes servent de manière exemplaire le récit. La colorisation de Dave Stewart est très sobre et assez terne, ce qui colle parfaitement à l’histoire. La partie graphique est donc un régal. Concernant l’édition de Panini, là aussi, c’est du beau travail. Le cartonné est de très bonne qualité et le papier parfait. Entre les histoires, des documents ont été introduits afin d’étoffer l’univers (un peu comme dans Watchmen par exemple). La traduction est bonne autant pour ces documents que pour la BD en elle-même. Tout est là pour nous proposer une lecture optimale et agréable.

Ce premier tome n’est finalement qu’une grosse introduction à l’univers et aux personnages de la série The Massive. Brian Wood prend son temps, et lance déjà pas mal de pistes de réflexion. L’album semble truffé d’indices qui méritent des recherches. Le récit est intelligent, un peu froid, mais passionnant. Les thèmes abordés notamment l’écologie et le pacifisme dans un monde imprévisible sont très intéressants. Et quelques questions restent en suspens : qu’est-ce que le Massive a de si important ? Qui est Mary ?

Cet article a été publié originalement sur MDCU : https://www.mdcu-comics.fr/news-0011879-panini-comics-review-vf-the-massive-1.html

Critique du tome 3

The Massive est une série assez singulière dans le paysage des comics. N’ayant pas eu l’occasion de parler du tome 2, j’en parlerai vite fait ici afin de faire un point sur la situation au début du tome 3. Le monde tel que nous le connaissons n’existe plus. Durant une année, de nombreuses catastrophes ont secoué la Terre, c’est ce qu’on a appelé le Krach. La planète est dévastée, il y a eu beaucoup de morts, et de nombreux pays ont été détruits. L’histoire suit l’équipage du Kapital, le second navire de la Neuvième Vague, une organisation d’activistes écologiques. Leur bateau principal est le Massive, porté disparu, qu’ils essaient de retrouver. Les tomes sont comme des chroniques de l’équipage et contiennent souvent plusieurs histoires. Dans le tome 2, Callum Israel, le capitaine, et ses compagnons (notamment Mary, son amie, et Mag son bras droit et meilleur ami) décident de laisser tomber leurs activités, et de se concentrer sur la recherche du Massive. Malgré quelques indices sur sa présence, le navire n’est jamais en vue, et ils finissent par tomber sur de fausses pistes. L’album se terminait sur la perte de l’espoir de retrouver un jour le Massive… Mais aussi la perte de nombreux membres d’équipage qui choisissent de retourner chez eux.

Le premier récit de ce tome 3 est la conséquence d’une partie du tome 2. En effet, Georg, ex-membre de la Neuvième Vague, s’est emparé d’un sous-marin nucléaire suite à une opération qui ne s’est pas exactement passée comme prévue. Le ton de Brian Wood, le scénariste, est toujours le même. Il retranscrit les évènements en étant le plus neutre possible. L’histoire est entrecoupée d’informations générales sur l’environnement ou les personnages. La façon de raconter l’histoire peut rappeler le cinéma de Paul Greengrass par exemple. Bref, c’est dans la lignée du premier (et du deuxième). L’auteur avait d’ailleurs déjà mentionné plusieurs fois les Etats-Unis, mais cette fois, le récit se déroule à New York même, l’occasion de faire le point sur le pays. Et le portrait n’est pas tendre et plutôt crédible. Le Kapital se retrouve dans la Grosse Pomme en suivant le sous-marin de Georg. Le reproche principal que j’adressais à la série, c’est de ne jamais vraiment captiver le lecteur. Le ton froid, et un certain détachement empêchait de s’investir. Mais là, le récit est un affrontement personnel entre Mag et Georg qui se connaissent très bien, qui sont proches, mais qui sont opposés cette fois. On apprend à connaitre ces deux personnages grâce à des flashbacks, l’histoire est passionnante, et la tension palpable. Et ne croyez pas que la lecture du tome 2 est indispensable, tout est parfaitement compréhensible sans avoir lu ce qui se passe avant. D’ailleurs, Panini ne nous fait même pas de résumé des épisodes précédents.

L’autre reproche principal que je pouvais faire à The Massive, c’est un dénouement des intrigues un peu trop facile. Pour vous expliquer ça, je vais vous raconter un épisode du deuxième tome. Pensant avoir affaire au Massive, Mary et un autre gars se dirige vers une forme à l’horizon. Il ne s’agit finalement que d’une île, mais entourée de requins et d’un mégalodon (un requin ancestral géant). L’histoire et l’ambiance sont géniales, et la tension augmente quand le gars se fait bouffer par un requin qui saute de l’eau. A ce moment, Mary se jette dans l’eau, au milieu des requins et du mégalodon, et s’échappe indemne. C’est extrêmement frustrant, et ce n’est pas la première fois qu’on a ce genre de dénouement incompréhensible. Et c’est aussi le cas pour la première histoire de ce tome 3. Sauf que cette fois, on a un petit élément de réponse : Mary cache quelque chose. Ce n’est pas dit explicitement, on ne sait pas si on bascule dans le fantastique, en tout cas, il se passe quelque chose que le lecteur ignore. Du coup, certaines faiblesses de la série sont finalement devenues des forces, car volontaire par Wood. Le mystère qui entoure Mary est passionnant et on a hâte d’en avoir la suite.

La seconde histoire change radicalement de localisation : on se retrouve en Norvège où la Neuvième Vague part à l’attaque de baleiniers. Une communauté vit à l’ancienne mode des vikings, et chasse la baleine pour se nourrir. Callum veut à tout prix les arrêter. Mag essaie de le raisonner, car les baleines qu’ils tuent sont loin d’être en danger, et le prélèvement n’est pas assez important pour représenter une menace. Cependant, Cal ne veut rien entendre, et on découvre petit à petit pourquoi. Là encore, nous avons un récit fort et touchant, et une rivalité entre Cal et Bors Bergsen, le chef du clan « viking ». Celle-ci existe depuis avant le Krach, avec cette fois-ci des rôles inversés : Bors utilise les techniques des activistes, et Cal représente le pouvoir. Finalement, Cal est assez pathétique, car Mary est partie, et il doit vivre sans. De plus, on apprenait dans le tome 2 qu’il était atteint d’un cancer. Bref, ce tome est plus que jamais humain, à travers l’imperfection du personnage principal. Je finis en parlant vite fait du dessin : il s’agit de l’œuvre de Garry Brown qui est probablement le dessinateur le plus régulier de la série. Son style très réaliste, à la fois grossier et précis pour les personnages, et très fin pour les environnements, colle parfaitement au ton que donne Wood à son récit. Il n’y a tout simplement rien à dire tant les auteurs semblent en adéquation.

Ce tome 3 de The Massive est le plus passionnant des trois. Si on commençait à connaitre l’équipage du Kapital, on n’a jamais été aussi impliqué émotionnellement. Les histoires sont fortes, et humaines. Certains pesteront sur la façon dont Wood tourne autour du pot, mais ce côté mystérieux, inconnu et imprévisible fait tout le charme de la série. A chaque tome, on apprend des choses sur ce nouveau monde, et on est captivé par les chroniques du Kapital, magnifiquement mises en image par Brown.

Cet article a été publié originalement sur MDCU : https://www.mdcu-comics.fr/news-0015533-panini-comics-review-vf-the-massive-3-drakkar.html